Journal

P*tain d’immigrée

Voilà un article que j’ai commencé à écrire en 2016, puis que j’ai abandonné parce que je me suis dit que ça allait déranger. Au final, je le reprends et le termine aujourd’hui. Peut-être dérangera-t-il, mais il est ce que je vis, et à l’heure où tous les pays se referment sur eux-mêmes, il me semble important de le partager…

Une vie de serial expat’

C’est comme ça que je me définis parce que c’est la « case » à laquelle je corresponds plus qu’une autre. Je suis partie travailler à l’étranger depuis 2011, donc en cela je suis expatriée. Mais j’ai multiplié les expatriations (Brésil, Portugal, Canada, Australie), d’où la partie « serial ». Serial expat’. Ça sonne bien, n’est-ce pas ? Ça fait genre VIP… 😉
Sur le papier, oui, peut-être, ça fait classe… La réalité est un poil différente. Alors non, je vais pas te dire que ma vie est pourrie (si c’est ce à quoi tu t’attendais, tu risques d’être déçu!), juste te faire part de quelques observations et du coup difficultés que je traverse, j’espère temporairement.

Un des aspects chouettes de la vie d’expat : du temps pour découvrir des coins paradisiaques

Immigrés et expatriés, une réelle différence ?

N’as-tu pas remarqué que souvent, on parle d’expatriés quand il s’agit d’un blanc qui part vivre à l’étranger, alors que s’il s’agit de quelqu’un de couleur, on parle d’immigrés ? Si, si, regarde bien…
Tous les africains qui sont en France, au Canada ou je ne sais où encore, on les qualifie d’immigrés, quelles que soient leurs situations. Même si ça fait plusieurs générations qu’ils sont dans le pays, y travaillent, y sont intégrés, etc, ils restent des immigrés pour les locaux. Même chose ici en Australie pour les chinois ou les indiens, d’ailleurs…
Alors que si on a affaire à une famille d’américains blancs installée en France, on va parler d’expatriés, même s’ils sont dans la même situation que les africains… (je n’ai rien contre les africains, ni les américains hein, que ce soit clair ; je prends juste des exemples malheureusement réels, donc svp ne t’offusque pas !).
La distinction entre les 2 termes ne serait basée que sur une couleur de peau ? De plus, pourquoi avoir tendance à donner une connotation péjorative au mot « immigrés » et une image dorée au mot « expatriés » ? Prenons les définitions du Larousse pour chacun des mots :

  • Expatrié : Se dit d’un salarié qui exerce son activité dans un pays autre que le sien.
  • Immigré : Qui a quitté son pays d’origine pour s’installer dans un autre pays.

Concrètement, à l’expatriation est associée une notion d’emploi en plus, et donc, l’expatriation n’est qu’un cas particulier de l’immigration, un cas particulier auquel sont associés certains privilèges (oui parce que c’est quand-même plus confortable de partir à l’étranger d’office avec un boulot que sans rien du tout) ! Seule la connotation donnée par le peuple change, connotation qui varie en fonction de la couleur de peau, visiblement… Je suis d’ailleurs surprise de voir que bon nombre d’expatriés font catégoriquement la différence entre les 2 termes ; hors de question pour eux de porter l’étiquette « immigrés »…
Enfin bref, tu l’auras compris, même si je suis expat’, bah je suis quand même avant tout une immigrée… au même titre que tous les autres expatriés, peu importe notre couleur de peau !

Être immigrée en Australie

Jusqu’à maintenant, on ne peut pas dire que j’aie véritablement souffert du statut d’immigrée ici. Certes, après 5 ans ici, nous n’avons que très peu d’amis australiens (je parle des natifs, pas ceux qui ont obtenu la nationalité après un temps ici), c’est parfois pesant de ne pas se sentir davantage intégrés (pas faute d’avoir essayé) mais on s’en sort. On participe à la vie de notre quartier, on s’engage dans des causes locales, etc… on fait ce qu’on peut pour montrer que nous aussi, on on fait partie d’ici.
Autre point qui nous faisait parfois un peu de tort : la réputation des français forgée par les jeunes backpackers. Nous étions souvent assimilés à des gens irrespectueux, sales, et qui volent. Sympaaaa ! Mais pour le coup, pour être justement très présente sur les groupes de backpackers français en Australie, avec ce que je vois passer, je ne peux pas vraiment donner entièrement tort aux locaux qui avaient cette image des backpackers français ; c’est juste dommage que ça ait été étendu à TOUS les français (d’autant plus que tous les backpackers ne sont pas comme ça, bien heureusement !)…

Les backpackers, une plaie de l’Australie ?

Ça n’a en tout cas jamais été une barrière pour discuter avec des locaux dans les cafés, la rue, etc… (ouais je parle beaucoup…. au moins autant que j’écris, t’imagines !!). Je parvenais même à rigoler avec eux sur la réputation des français. Mais depuis l’arrivée du SRAS-CoV-2 en Australie (le fameux coronavirus responsable de la COVID-19), les choses ont un peu beaucoup changé.

La majorité des cas de COVID-19 en Australie proviennent d’Europe. Tu vois où je veux en venir…? Très clairement, ces derniers temps, du fait d’être européenne, on ne me fait pas me sentir ultra bienvenue… Je suis désormais une « fucking immigrant » (putain d’immigrée), comme on vient encore de me le balancer… Le racisme fait désormais partie de mon quotidien (temporaire !! enfin j’espère…), et franchement, ce n’est pas fun. Voici 3 exemples concrets de situations :
– je promène mes chiennes. Toupie voit un pigeon. Toupie aime courir après les pigeons. Je l’encourage à le faire. « Allez Toupie, vas-y! » lui dis-je, en français, vu que j’ai toujours parlé en français à ma chienne. Un australien me passe derrière et me gueule dessus « don’t let your dog do that ! Leave our birds alone, and leave our country, go back to yours! » (ne laisse pas ton chien faire ça ! Laisse nos oiseaux tranquilles, et quitte notre pays, retourne dans le tien!). Je lui ai dit d’aller se faire voir alors qu’il poursuivait son chemin en marmonnant « you fucking immigrant » (putain d’immigrée).
– une discussion sur un groupe Facebook local, dédiée à la COVID-19. Très active, je participe. Moi aussi je donne mon avis, mais qui se voulait ce jour-là encourageant, compte tenu des chiffres australiens qui font plaisir à voir. « you don’t get to tell us anything, you are not even from here » (tu n’as pas le droit de nous dire quoi que ce soit, tu n’es même pas d’ici)…
– j’appelle pour prendre un rdv chez un dentiste pour une amie française. La gonzesse m’a moitié raccroché à la gueule en me disant qu’ils ne prenaient aucun étranger qui n’était pas déjà client chez eux. Clairement, j’ai senti sa réticence dès que j’ai dit « French »…

Et j’en passe.  Ça s’est clairement empiré du jour où le Premier Ministre australien a demandé à tous les étrangers sur un visa temporaire (PVT, tourisme, étudiants…) et/ou qui n’ont pas les moyens de subsister à leurs besoins pendant au moins 6 mois sans travail de quitter le territoire. Il est vrai que ces personnes là sont tellement nombreuses que l’amalgame est vite fait. Mais tous les étrangers ne sont pas dans cette situation-là. Pour ma part, j’ai la résidence permanente ici (edit 2024 : et je suis même citoyenne depuis 2021). Mais ça n’est pas écrit sur mon front.  Donc je reste cette p*tain d’immigrée qui, pour les locaux, a ramené le virus en Australie et n’a pas obéi à l’appel du gouvernement.
Tu me diras, ce n’est rien comparé à ceux et celles qui subissent du racisme basé uniquement sur leur couleur de peau. Mais ça n’est déjà pas agréable. En tout cas, plus que jamais, je compatis, et je suis désolée que des millions de personnes subissent ça chaque jour… Tout ça pour dire que cette pandémie fait ressortir des traits de mentalité franchement pas cools, et je doute que ce ne soit le cas qu’en Australie (si tu vis la même chose ailleurs, n’hésite pas à partager ton expérience dans les commentaires). Heureusement que ce n’est pas ce qu’on ressent habituellement ! Je doute qu’on aurait apprécié rester aussi longtemps ici autrement…

Conclusion

Premier point, la distinction entre immigrés et expatriés ne devrait réellement pas se faire sur une couleur de peau, car comme tu peux le voir, c’est totalement erroné ; l’expatriation n’est qu’un cas particulier de l’immigration. Tous ceux qui ont eu le courage de quitter leur patrie d’origine pour aller s’installer ailleurs, que les raisons soient professionnelles, personnelles, politiques,… quelle que soit leur couleur de peau… quelle que soit leur religion… tous ceux-là sont des immigrés dans tous les cas. Et ya pas de honte à ça (il ne devrait pas y en avoir !). Quant à vous, les expatriés, n’oubliez pas que vous êtes des immigrés aussi, donc attention aux propos que vous tenez sur l’immigration… Ça me choque d’entendre des discours extrêmement racistes venant d’expatriés… Pas toi??
Et deuxième point, même si en temps normal je t’aurais dit qu’il était plutôt sympa d’être expat / immigrée en Australie, c’est un peu moins fun en ce moment, dans le sens où notre présence est un peu moins bien tolérée. J’espère, comme chacun d’entre nous, revenir à une situation « normale » au plus vite, et repenser à cette période pénible comme un simple désagréable souvenir. Je retrouverai alors notre Australie qu’on aime 🙂

Hâte de retrouver nos paysages quotidiens

***

Suis-moi sur Instagram et Facebook !

8 commentaires

  • Karine

    Article tres interessant et je suppose que les australiens qui insultent ne sont pas aborigènes? Bah oui, les blancs australiens sont aussi des immigrés et feraient mieux de se la fermer pour certains vu leurs origines. Ils oublient une petite chose dans leur racisme européen ou autre, c’est qu’une partie de leur économie repose sur cela et sans ces immigrés, bah l’Australie serait rien et risque de le redevenir en faisant cela… l’Australie montre une image bien pathétique et très “américano-capitaliste” cette année 2020 après les incendies, les gens laissés sur le carreau, c’est un peu chacun pour sa gueule, ca fait pas trop rêvé….

  • Emmanuel

    Je n’ai remarque aucune difference aux Etats-unis ou Canada pour l’instant, ca semble quand meme hard personne ne m’a jamais traite de fucking immigrant en 10 ans ici …

  • Le Grand Duduche

    Comme Immigré/expatrié,je compatis.Actuellement au Pérou,je le vis fréquemment.Longtemps au Brésil,je ne l’avais jamais remarqué.Je n’ai jamais été tenté par du
    tourisme ou même une émigration vers ces 2 pays.The American way of life ne m’a jamais attiré l’attention.Le manque total de considération de ces 2 pays en ce qui concerne l’environnement m’ont conforté dans mon jugement que qui sème le vent récolte la tempête.

  • travelingaddress

    Pas très sympa, surtout depuis le temps que vous êtes là! Je croyais que les expats c’était associé à quelque chose de temporaire (travailler quelques années à l’étranger puis repartir par exemple) alors qu’immigrer c’était plus rejoindre définitivement un autre pays 🙂 Aux USA, je n’ai jamais vraiment eu ce problème (on est populaires dans le Missouri :p ) mais par contre, dès qu’il se passe un truc en France, n’importe où en France, ils me demandent mon avis… Et comme la Martinique par exemple c’est aussi la France, mais que je n’y ai jamais mis les pieds, ça peut devenir compliqué :p

  • Nathinphoenix

    Enfin ! Je trouve un blog qui dit des choses profondes… je désespérais un peu. Je partage votre point de vue sur l’immigration / expatriation. J’ai vécu la Suisse, les USA et désormais la Catalogne (très différent de l’Espagne, même si c’est administrativement rattaché), et en effet entre mon amie et moi, alors que nous avons peu ou prou la même vie, elle est immigrée car noire, et je suis expatriée car blanche. C’est une réalité, je crois dans beaucoup de pays de la planète. Pour ce qui est du racisme, je l’ai vécu exactement de la même façon en Suisse (alors que je suis citoyenne, mais frontalière) « Arrêtez de venir respirer notre bon air que vous ne payez pas » ou en Arizona. J’y étais au début de la crise de 2008 et les commentaires désobligeants sur le fait que nous volions le travail d’un américain ont suivi la courbe du chômage.
    A Barcelone, la situation est inversée, c’est la France qui devient raciste envers leurs propres ressortissants qui viennent de Catalogne. « Retourne avec les espinguoins, ne nous ramène pas le virus ! » (les expression datant du franquisme reviennent fort dans ces moments là).
    A chaque crise, les plus bas instincts de repli sur soi prennent le pas sur la raison, et celui qui est différent trinque en premier.
    Je suis d’accord avec vous ça fait très mal. En tous cas merci pour cet article et j’espère que les choses vont s’arranger… A très bientôt – Nath

    • Jenny

      Merci beaucoup pour ce retour intéressant 🙂 J’ai en effet reçu plusieurs témoignages allant dans ce sens aussi, et pourtant peu en parlent ouvertement, comme si c’était tabou ou qu’il ne fallait surtout pas se plaindre d’un éventuel mauvais traitement de la part des habitants du pays qui nous accueille.

Partage ton avis !

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur My Globe Story

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading